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« Henri Leclerc était l’avocat de la mise en garde et de la mise en perspective »

S’il n’en reste qu’un, il sera celui-là. Henri Leclerc était devenu la mascotte du barreau, montrant que l’on pouvait être à la fois une mascotte et une légende, que l’on pouvait être le plus grand, le plus intransigeant avec les droits de la défense et les libertés des hommes, et inspirer aussi la tendresse, ce sentiment qu’il parvenait magiquement à combiner avec la grandeur. Il portait cette humanité sur lui, l’air bon homme, une expression que l’on a envie d’écrire en deux mots séparés pour l’accentuer. Il aimait rire, cuisiner, boire et manger, la vie en somme. Il plaçait les gens par-dessus tout et concevait son métier comme parvenir à les faire aimer. Cet amour-là s’accompagnait d’une capacité d’indignation hors norme qu’il qualifiait de « coléreuse » et d’une profondeur enthousiaste, quasi juvénile. Il était décidément un homme à décrire en oxymores.
Il aimait les êtres humains mais aimait passionnément les avocats. Lors d’un colloque à la Maison du barreau, chez nous, chez lui, où il participait à une table ronde au cours de laquelle un magistrat, et pas n’importe lequel, le président du tribunal de Paris de l’époque, s’en était violemment pris « aux avocats » d’une manière générale, nous reprochant d’être ceux qui empêchent la justice de tourner rond, ce qu’il aurait plutôt dû vanter, car, effectivement, c’est notre métier. Nous empêchons la machine de passer sans réfléchir, d’écraser plutôt que de punir seulement ou de condamner un innocent.
La salle avait brocardé le juge, les huiles avaient tenté d’huiler, chacun dans ses excès, et Henri Leclerc avait souhaité « répondre même si ce n’[était] pas à [s]on tour de parler ». Il en avait assez de cette guerre ridicule qui oppose les avocats aux magistrats et avait mis en garde le juge : « Ne sciez pas la branche sur laquelle vous êtes assis », rappelant que les avocats défendent tout le monde. Il nous voyait comme les branches du droit sur lesquelles la société repose, il aurait pu dire vieilles branches aussi, de celles qui font grandir les jeunes pousses. Il luttait « contre la justice quand elle se déshonore » et n’a fait que l’honorer.
La première plaidoirie que j’ai entendue, alors que j’étais encore élève, c’était l’une des siennes, aux assises de Paris, où il défendait une jeune femme de mon âge. Nous sommes des générations d’avocats à pouvoir témoigner du moteur à vocation qu’a pu être Henri Leclerc dans nos carrières. Il l’est resté, ce sont ses mots, ses idées, ses actions, sa sincérité explosive qui nous relançaient dans les moments de découragement, moteur devenu boussole des grandes questions quand nous avions une hésitation.
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